– Entretien avec Dr. Cary Adams, PDG de l’UICC, The Union for International Cancer Control

Le cancer provoque chaque année le décès de près de 10 millions de personnes, ce qui en fait la deuxième cause de mortalité dans le monde. Aujourd’hui, plus de la moitié (65 %) de ces décès surviennent dans les pays les plus démunis. Alors que la recherche et l’innovation ont permis de grandes avancées contre le cancer et la découverte de traitements pouvant sauver des vies, l’accès à ces innovations n’a pas suivi le même rythme, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire. À l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer (4 février 2021), nous nous sommes entretenus avec Cary Adams, PDG de l’UICC, pour comprendre comment l’amélioration de l’accès aux traitements peut faire avancer la lutte contre le cancer.

Question : Concernant l’accès aux traitements essentiels contre le cancer, où en est-on ?

Réponse : Le cancer est un fléau pour tous les pays du monde. Pour y faire face, et promouvoir plus d’égalité, nous avons publié la Déclaration internationale contre le cancer. Il s’agit d’un appel en faveur de l’amélioration de l’accès de tous à des outils de dépistage adaptés, à un traitement multimodal de qualité, à des services de réadaptation, de soutien et de soins palliatifs, ainsi qu’à des médicaments et des technologies de qualité garantie pour un coût abordable, à l’horizon 2025.

La liste modèle des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est une première étape pour surmonter les principaux obstacles qui entravent l’accès aux soins. Cette liste est un outil pour aider les pays à définir quels produits inclure en priorité dans leur liste modèle nationale des médicaments essentiels, dans le cadre des processus d’approvisionnement et de remboursement par les autorités gouvernementales. En 2015, l’UICC a joué un rôle de premier plan dans le processus de révision de la démarche d’inclusion des médicaments contre le cancer dans la liste modèle de l’OMS. La méthode de sélection des médicaments essentiels contre le cancer a été redéfinie afin d’inclure des produits utilisés pour le traitement de cancers particuliers. L’objectif était de simplifier la tâche des décideurs chargés d’identifier les anticancéreux adaptés à la lutte contre la maladie à l’échelle de leur pays. Malheureusement, l’analyse de 135 listes modèles nationales menées en 2016 a montré que, en moyenne, seuls 17 des 25 médicaments contre le cancer figurant sur la liste modèle des médicaments essentiels de 2013, et seuls 3 médicaments sur les 16 ajoutés en 2015, avaient été intégrés. Il existe donc toujours de profonds écarts entre l’inclusion de médicaments contre le cancer de première importance dans la liste modèle de l’OMS et leur intégration dans les listes nationales (et donc leur achat).

Par ailleurs, même lorsqu’un médicament contre le cancer est inclus dans la liste modèle de l’OMS et dans les listes nationales, il n’existe aucune garantie quant à sa disponibilité. Les raisons, qui sont multiples, peuvent être le coût élevé des médicaments, les problèmes d’assurance qualité (en raison par exemple de systèmes de réglementation pas assez solides) ou encore les difficultés relatives à l’approvisionnement et à la chaîne logistique (ruptures de stock, manque de main d’œuvre sanitaire qualifiée, etc.).

Question : Comment s’attaquer à ces entraves à l’accès ? Quel rôle peuvent jouer l’UICC et ses partenaires, dont fait partie le MPP ?

Réponse : Pour surmonter ces obstacles et initier un changement de politique, l’UICC travaille aux côtés de ses membres et s’appuie sur ses actions de plaidoyer et ses plateformes de renforcement des capacités en vue de mener des campagnes de sensibilisation à l’échelle nationale et internationale. Malheureusement, la tâche est herculéenne : nous devons trouver un soutien international qui nous permettra de réunir toutes les parties prenantes concernées, à savoir les gouvernements, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé. L’objectif est de construire des mécanismes de régulation solides, d’élaborer des stratégies d’approvisionnement pérennes et de définir des politiques en faveur de la transparence et d’une tarification juste, tout en respectant les dispositions de l’accord sur les ADPIC.

Par ailleurs, nous devrions également apporter un soutien aux efforts de simplification du transfert de technologies, aux politiques mises en œuvre afin de garantir une meilleure adoption des traitements génériques et biosimilaires, et au renforcement des capacités des fabricants locaux. À cet égard, le Medicines Patent Pool (MPP) a joué un rôle très important dans l’amélioration de l’accès aux médicaments contre les maladies transmissibles (tuberculose, VIH et hépatite C) dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Nous sommes heureux d’apprendre que le mandat du MPP inclut désormais les médicaments contre le cancer. Appliquer le modèle du MPP aux traitements biologiques inclus dans la Liste des médicaments essentiels de l’OMS afin d’améliorer l’accès aux biosimilaires constituerait une avancée considérable pour garantir que ces traitements qui sauvent des vies soient disponibles dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Question : Quels enseignements tirer de la lutte menée dans d’autres domaines thérapeutiques ?

Réponse : Les leçons à tirer des actions de sensibilisation menées pour garantir l’accès à des traitements abordables contre le VIH et l’hépatite C sont nombreuses ; notamment le rôle essentiel de la société civile, qui a su mobiliser les acteurs pour améliorer l’accès au traitement, en particulier pour les personnes vivant dans les pays à revenu faible et intermédiaire et les populations vulnérables, dans le cadre de la lutte pour plus d’équité. L’importance capitale de la promotion de l’équité de l’accès aux soins et aux traitements contre le cancer est un autre enseignement à retenir. Enfin, nous savons qu’il existe une fracture à l’échelle internationale en termes d’accès aux soins et aux traitements contre le cancer et de résultats obtenus contre la maladie, en particulier dans le cas de cancers pouvant être facilement évités, détectés ou soignés.

Question : Si l’on s’intéresse à l’avenir, quels sont les principaux éléments qui pourront permettre un meilleur accès aux traitements contre le cancer ?

Réponse : Pour obtenir de meilleurs résultats contre le cancer, il est fondamental d’aborder la question de l’accès au traitement au travers d’une approche multisectorielle, car les différents domaines concernés sont tous liés. On peut ainsi citer la capacité de détecter au plus tôt un cancer, grâce à des programmes de dépistage ou de détection précoce menés dans des établissements de santé, notamment au niveau primaire, l’accès aux services de dépistage et de prise en charge, et l’inclusion du traitement systémique, de l’immunothérapie, de la radiothérapie et de la chirurgie dans le traitement du cancer. En mettant en place des collaborations multisectorielles, nous sommes en mesure de partager des informations sur les obstacles qui entravent la disponibilité des médicaments contre le cancer de la Liste des médicaments essentiels de l’OMS, de mettre en commun les bonnes pratiques, de mutualiser les ressources et de compléter les atouts de chaque partie prenante afin d’obtenir le meilleur impact possible.

Il est essentiel que la lutte contre le cancer fasse partie intégrante des systèmes de santé, et que les gouvernements investissent dans les services d’oncologie et les ressources humaines. De nombreuses parties prenantes doivent être mobilisées pour améliorer l’accès au traitement, parmi lesquelles la société civile, le gouvernement et les acteurs du secteur privé, car tous jouent un rôle essentiel pour l’accès aux traitements et aux soins.

L’UICC, à l’instar du MPP, encourage le dialogue entre tous les secteurs, et a les capacités d’unir différentes parties prenantes qui agissent pour l’amélioration de l’accès aux traitements. Ainsi, si l’accès rapide de tous les patients à un traitement de qualité contre le cancer est la responsabilité du gouvernement, il exige néanmoins le soutien des organisations de patients, de la société civile, du secteur privé, de l’OMS et de la communauté internationale. L’engagement collectif est notre unique espoir pour que des solutions adaptées soient mises en place. Le déploiement du vaccin contre le papillomavirus en est un bel exemple. L’UICC s’est engagée aux côtés de nombreuses autres parties prenantes pour que les choses changent.

Question : Enfin, quel message souhaitez-vous faire passer à l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer ?

Réponse : Ensemble, toutes nos actions comptent. Des partenariats solides entre les autorités sanitaires publiques, les ONG et le secteur privé permettront de construire des systèmes de santé plus résilients et de favoriser la pérennité de l’accès aux médicaments essentiels contre le cancer. C’est particulièrement important dans le contexte de la pandémie de COVID-19 ; nous devons veiller à ce que la lutte contre le cancer ne soit pas oubliée, ni dans la riposte contre la pandémie ni au-delà.